Le Monde - Jeudi 24 novembre 2005 - Hervé Morin
La maison écologique, durable et économe, se démocratise
Les Français en auraient-ils fini avec le syndrome des Trois
Petits Cochons, qui les a longtemps poussés à bâtir
des maisons en dur, comme un refuge coupé du monde extérieur
? Certains sont en tout cas prêts à faire construire leur
"home sweet home" en bois, voire en chanvre et même
en paille, à le concevoir plus en phase avec l'environnement
extérieur. "Une centaine de maisons en bottes de paille
agricole ont été construites cette année",
se félicite Jean-Pierre Oliva, consultant en architecture écologique,
un domaine naguère confidentiel, qu'il a vu éclore ces
cinq dernières années, puis "exploser" avec
la hausse du pétrole.
Ces maisons en paille ne sont pas des lubies nouvelles.
L'habitat écologique est à la mode, comme le prouve l'ouverture
d'un Salon qui lui est consacré, pour la deuxième année
consécutive, du 25 au 27 novembre, à la Cité des
sciences et de l'industrie, à Paris. Les premières ont
été construites aux Etats-Unis en 1875, lorsque les botteleuses
mécaniques sont apparues. En France, la plus ancienne a été
construite à Montargis en 1921. "Elle est toujours en parfait
état", assure Jean-Pierre Oliva, qui décline les
avantages de ce matériau naturel, piégé dans des
structures de bois, sous un crépi de chaux et de sable : isolant
deux fois mieux que les briques alvéolaires, pour un coût
sept à huit fois plus faible, il stocke du CO2 tout en redynamisant
une filière agricole bio. Seul inconvénient, en ville,
à l'entendre, l'épaisseur des murs, contrainte par la
dimension des bottes de paille.
Il y a encore quelques années, évoquer ces solutions techniques
aurait fait sourire. "Nous étions des Martiens", résume
Jean-Pierre Oliva. Aujourd'hui, les (rares) artisans qui les mettent
en oeuvre "ont des années de commandes". L'autre changement
majeur, c'est que celles-ci n'émanent plus seulement d'amateurs
de bio, "autoconstructeurs", ou de bobos à la recherche
de maisons d'architecte. Mais elles viennent aussi d'acteurs publics
soucieux d'économies d'énergie et de protection de l'environnement
- comme la municipalité de Montholier (Jura), qui a fait construire
deux résidences locatives en paille au tarif HLM.
La France est en retard par rapport à ses voisins, Allemagne
et Suisse notamment, où l'habitat est deux à quatre fois
moins énergivore. "On assiste depuis la fin des années
1990 à la rencontre entre deux mondes, celui des autoconstructeurs,
adeptes des techniques traditionnelles, et celui des bioclimaticiens,
qui ne se soucient pas forcément d'utiliser des matériaux
écologiques", analyse Yvan Saint Jours, rédacteur
en chef du la revue La Maison écologique. Lancé en 2001
à 3 500 exemplaires, ce magazine tire aujourd'hui à 50
000.
Encore faut-il s'entendre sur la définition de
cet habitat écologique. Est-ce un bâtiment qui consomme
peu d'énergie, voire en produit et est capable de recycler l'eau
de pluie ? Qui fait appel à des matériaux renouvelables,
naturels, à faible impact sur l'environnement ? Ou bien d'une
maison saine, sans volatils ou fibres nocifs ? A moins qu'on ne parle
d'une maison traditionnelle à laquelle on ajoute une chaudière
ou un poêle à bois.
Chacun y va de son credo, dans un marché où
les labels, peu contraignants, sont souvent conçus comme un argument
marketing. "La maison en bois est perçue comme la référence,
note Yvan Saint Jours. Mais elle peut être parfaitement anti-écologique
si le bois est importé de Sibérie et a subi des traitements
chimiques."
Pour avoir une idée précise du caractère
écologique d'un produit, il faut en fait connaître tout
son cycle de vie, depuis sa production jusqu'à son éventuel
recyclage. Des fiches techniques commencent à être proposées
par les industriels, selon une démarche purement déclarative.
"Des programmes de vérification de ces données sont
prévus", indique cependant François Maupetit, du
Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Responsable
de la qualité sanitaire des produits, il souligne que l'évaluation
dans ce domaine est encore plus embryonnaire. Sur des milliers de références,
seuls quatre briques en terre cuite et un revêtement de sol synthétique
ont fait l'objet d'un avis technique du comité environnement
santé.
Peu importe, les bâtiments étiquetés
haute qualité environnementale (HQE) fleurissent, même
s'ils ne remplissent pas tous les critères prévus par
ce label. "Il s'agit surtout d'une démarche pédagogique
pour encourager une approche qui ne doit pas être réservée
à une élite", note Jean-Christophe Visier, chef du
département développement durable au CSTB.
De fait, on sort peu à peu de l'esprit "prototype".
La Coop de construction, à Rennes, fait figure de pionnière.
En 2000, son programme Salvatierra réduisait par quatre la consommation
d'énergie. Mais il avait été fortement subventionné.
La villa Belle-Ile, à Mordelles, concerne des accédants
modestes (60 % bénéficient du prêt à taux
zéro). Les quarante logements devraient bénéficier
de charges de chauffage en diminution de 20 % (- 40 % pour l'eau chaude)
et consommer 25 % d'eau en moins. Monomur en terre cuite, solaire thermique,
récupération des eaux de pluie, peintures sans solvant,
etc., permettent ces performances pour un surcoût modeste. "Nous
avons fait un petit effort commercial, convient Didier Croc, de la Coop.
C'est de la qualité environnementale raisonnée, qui ne
vise pas à satisfaire les militants : le chanvre est trois fois
plus cher que la laine de roche. Là, on cale..."
Pour l'architecte du projet, Bernard Mainguy, un bâtiment
"zéro énergie", comme ceux qu'on peut rencontrer
à Fribourg, en Allemagne, n'était pas l'objectif. "Ce
sont souvent des maisons Thermos, où on se sent confiné",
assure-t-il. Mais l'habitat autonome, capable de tirer profit du soleil,
du vent et de la pluie, de traiter ses propres déchets, lui semble
une piste prometteuse. "On ne compte pas plus d'une vingtaine de
maisons autonomes, mais on pourrait élargir cette approche à
des groupements d'habitats", juge-t-il.
La signature, le 17 novembre, par l'Office public d'aménagement
et de construction (OPAC) de Paris d'une charte du développement
durable est un signe de l'intérêt naissant des grands donneurs
d'ordre. L'OPAC se fixe d'ici cinq ans des objectifs concrets : développer
les énergies alternatives (10 000 m2 de panneaux solaires thermiques,
deux éoliennes, pile à combustible), réduire de
5 % les émissions de CO2 et la consommation d'eau, diminuer de
30 % la consommation énergétique des constructions neuves.
Même le gouvernement s'y met : en plus des crédits
d'impôts pour l'équipement en énergies renouvelables,
il a décidé d'augmenter le tarif de rachat de l'électricité
photovoltaïque produite par les particuliers - de 15 à 22,5
centimes d'euros du kWh. Et, à compter du 1er septembre 2006,
toutes les habitations neuves devront être dotées d'un
conduit à fumées "permettant le raccordement d'un
foyer à bois ou à biomasse". La France s'est, il
est vrai, engagée à diviser par quatre ses émissions
de CO2 d'ici à 2050. Le bâtiment (habitat + tertiaire)
produit 19 % des gaz à effet de serre émis par le pays.
La maison écolo a donc de beaux jours devant elle.
Le Monde - Jeudi 24 novembre 2005 - Jean-Pierre Langellier
BEDDINGTON ( SURREY, ANGLETERRE) ENVOYÉ SPÉCIAL
BedZED, premier village "zéro énergie"
de Grande-Bretagne
De loin, on aperçoit d'étranges cheminées aux couleurs
vives. Elles couronnent les toits de BedZED, le premier village écologique
d'Angleterre, à vingt minutes de train au sud de Londres. Grâce
à leur ingénieux dispositif, assemblé autour d'un
échangeur, l'air vicié qui s'en échappe cède
sa chaleur à l'air frais qui y pénètre. Ce système
de ventilation naturelle, qui permet de récupérer une
partie des calories émises, symbolise l'efficience énergétique
à l'honneur dans ce lieu de vie d'un nouveau genre, inauguré
en 2002.
BedZED signifie Beddington Zero Energy Development. Ce
quartier de Beddington, précurseur d'un habitat bioclimatique,
"développe zéro énergie". C'est la première
communauté "neutre en carbone". Elle n'utilise pas
plus d'énergie - renouvelable - qu'elle n'en produit sur place,
et n'ajoute aucun surplus de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
L'architecte Bill Dunster, concepteur de ce projet pilote
qui intègre toutes les techniques du développement durable,
a voulu reconstituer une cité-jardin traditionnelle à
l'anglaise, en densifiant autant que possible l'espace urbanisé.
Edifié sur une ancienne décharge publique, BedZED est
aussi dense que le quartier de Soho, au coeur de Londres. Son inventeur
y a resserré les liens entre l'habitat et les lieux de travail,
délibérément mêlés. Multiplier les
ensembles de ce type, assure-t-il, permettrait presque de satisfaire
les énormes besoins en logements des Britanniques d'ici à
2016, en ne construisant que sur les terrains à bâtir,
sans toucher aux espaces agricoles et naturels.
A BedZED, l'impérative protection de l'environnement
ne sacrifie jamais le confort et la modernité. Architecte militant,
Bill Dunster n'a rien d'un écologiste rétrograde ou grincheux.
"J'en ai assez des activistes négatifs, explique-t-il. L'avenir
peut être désirable et amusant. A BedZED, on respecte l'environnement
tout en ayant un style de vie convivial et financièrement abordable."
Imaginé pendant trois ans par Bill Dunster, avec
le soutien de l'ONG anglaise Bioregional, cet "éco-village"
a été financé par la fondation Peabody, la plus
importante association caritative consacrée à l'habitat.
Il accueille quelque 300 résidents dans 100 logements. C'est
un site socialement mixte, destiné ni aux bobos ni aux écolos,
et où les plus aisés ont acheté leur appartement,
et les plus modestes le louent. Les sept corps de bâtiment, que
prolonge un vaste terrain de jeu, abritent les lieux propres à
une communauté : cafétéria, garderie, club sportif,
centre de santé.
LA RANÇON DU SUCCÈS
BedZED utilise au maximum les matériaux naturels, renouvelables
ou recyclables - bois, briques, structures métalliques - disponibles
dans un rayon de 50 km, pour favoriser l'économie régionale
et limiter les transports. La nourriture est livrée chaque jour
par 200 producteurs locaux, d'où une économie d'emballages
et une alimentation moins coûteuse et plus saine. "On a calculé,
rappelle Bill Dunster, que, dans ce pays, les composants d'un repas
moyen parcourent au total 3 200 km avant d'arriver sur la table du consommateur."
Les inventeurs de BedZED ont privilégié
les solutions passives. Exemple : mieux vaut, pour économiser
l'énergie, une bonne isolation thermique qu'un équipement
sophistiqué, sujet aux pannes et cher à l'entretien. Chaque
logement, exposé plein sud, possède une serre qui capte
la lumière et la chaleur et où des panneaux photovoltaïques
produisent de l'électricité. Un jardinet fait face à
la serre. Les bureaux et les commerces sont au nord, reliés aux
logements par des passerelles.
Une centrale alimentée par des résidus forestiers
produit l'électricité et l'eau chaude sanitaire. Les pertes
thermiques sont minimes. Les murs ont 50 cm d'épaisseur, la toiture
contient un isolant végétal, les ampoules et les appareils
consomment peu. "Voyez, constate fièrement Bill Dunster,
même par temps froid, il est presque inutile de chauffer."
Les eaux de pluie sont stockées, les eaux sales, traitées
biologiquement sur place. On a diminué le chauffage de 90 %,
l'électricité de 60 %, les déchets de 75 %.
La présence de l'automobile a été
réduite de moitié. On encourage l'usage partagé
des véhicules. Sur le parking, des bornes permettent de recharger
gratuitement les voitures électriques. A BedZED, l'empreinte
écologique est deux fois moindre que dans celle d'un quartier
traditionnel. Les rares habitants qui l'ont quitté l'ont fait
pour empocher une plus-value immobilière, car, en trois ans,
les logements ont déjà presque doublé de valeur.
Ecologie ou pas, c'est la rançon du succès.
Le Monde - Jeudi 24 novembre 2005 - Propos recueillis
par Christine Garin
Jürgen Hartwig, architecte-urbaniste
"A Fribourg, les éco-logements consomment dix fois moins
d'énergie"
Vous êtes architecte-urbaniste à Fribourg (Allemagne),
chargé de la promotion des deux quartiers écologiques
pilotes, Vauban et Riesenfeld. Comment se sont-ils développés
?
Tout a commencé, en 1975, avec la mobilisation contre un projet
de centrale nucléaire à Whyl, à 20 kilomètres
de Fribourg, qui a débouché sur une réflexion sur
les énergies alternatives. Des associations se sont créées,
certains habitants se sont bricolé des capteurs solaires individuels
puis la municipalité, il y a une quinzaine d'années, a
pris le relais en créant des pistes cyclables - nous en avons
400 kilomètres aujourd'hui -, un système de tri sélectif
des déchets, etc.
Les deux quartiers de Vauban et Riesenfeld, qui regroupent 15 000 habitants
à 4 km du centre-ville de Fribourg, sont nés, dans un
troisième temps, sur des bases encore plus ambitieuses : habitats
à basse consommation, cogénération, récupération
de l'eau de pluie, priorité absolue aux transports en commun,
aux piétons et aux cyclistes.
Quel a été le rôle des pouvoirs publics ?
La ville est propriétaire des sols, un ancien terrain militaire
libéré par l'armée française en 1992, pour
Vauban, un ancien terrain d'épuration pour Riesenfeld. Mais les
futurs propriétaires, avec des architectes, se sont constitués
en lobbies pour s'opposer à l'arrivée de promoteurs privés
classiques et populariser l'idée de "quartiers écologiques".
Tout a été conçu en accord avec la population :
les espaces verts, qui n'utilisent que des matériaux naturels,
bois, pierres, espèces locales, etc., comme le réseau
de transports en commun, chaque immeuble étant obligatoirement
situé à moins de 500 mètres d'une station de tram.
La Ville a accepté cette démarche participative et elle
la finance. Chaque quartier possède aussi un réseau de
chauffage branché sur une centrale cogénératrice
- au bois ou au gaz naturel -, qui produit électricité
et chauffage.
Quels sont les résultats sur l'environnement ?
Tous les bâtiments sont basse consommation. C'est obligatoire
et contrôlé par la mairie. Du coup, une petite centrale
de cogénération suffit pour 40 hectares et 5 000 habitants.
L'isolation et la ventilation des logements permettent de baisser considérablement
la consommation d'énergie, qui peut tomber jusqu'à 20
ou 25 kWh au mètre carré par an, soit dix fois moins que
dans un logement classique.
Beaucoup de bâtiments combinent capteurs solaires thermiques et
solaires photovoltaïques. Les habitants fabriquent de l'eau chaude
par le système solaire thermique pour leur propre consommation
et produisent de l'électricité qui est réinjectée
dans le réseau public de la ville. Certains produisent davantage
qu'ils ne consomment, c'est ce qu'on appelle l'"habitat positif".
Il y a moins de dix ans, à Fribourg, nous avions 500 mètres
carrés de panneaux photovoltaïques, nous en sommes à
50 000 aujourd'hui car la loi fédérale a considérablement
augmenté les subventions à la production de ce type d'énergie.
L'usine qui fabrique ces panneaux depuis 1998, à Fribourg, emploie
aujourd'hui 200 personnes. Par ailleurs, 60 % de la population possède
une voiture mais seulement un tiers l'utilise pour se rendre au centre-ville.
Vous recevez 1 500 visiteurs français par an, parmi
lesquels beaucoup d'élus. Qu'est-ce qui les étonne le
plus ?
La physionomie générale des quartiers, la diversité
des matériaux et des formes, mais surtout la démarche
participative, à laquelle vous n'êtes pas habitués.
Page créée le 2 avril 2006